Pourquoi à quatorze ans j’ai dû raboter la table de mon grand-père ?
A quatorze ans, j’ai eu la passion des fusées. J’en ai construit quelques-unes dans ma chambre à Paris. Et je les emportais avec moi quand nous partions en vacances aux Sables d’Olonne, car « le pas de tir » était situé sur la Côte Sauvage de la Chaume, là où, près de la mer et des rochers, il y avait encore à cette époque de grandes étendues vierges et isolées.
Avec un ami, le cœur serré, on allumait la mèche et on attendait, persuadés que bientôt les hommes allaient partir à la conquête des étoiles. En général, la fusée se transformait en pétard plutôt qu’en engin spatial. Sauf une fois où elle partit comme une flèche et explosa dans les nuages comme un feu d’artifice. Quand même émerveillé par cet exploit, je me dis que la poudre utilisée pour la propulsion devait être améliorée.
Mes parents me laissaient faire ce que je voulais, avec un peu d’inconscience tout de même. Tout comme un ami de la famille que je réussis à persuader de m’apporter une aide indispensable : celle d’aller acheter certains produits chimiques dans une boutique du Quartier Latin proche des universités, des produits que l’on ne vendait pas aux mineurs, mais exclusivement aux adultes.
C’est ainsi que je me procurai tout ce qu’il fallait pour faire sauter notre appartement du 5-ième étage à Paris. Et tel un apprenti sorcier, je réalisai ce qu’il faut bien appeler des mélanges détonants susceptibles de propulser mes prototypes d’engins « spatiaux », et de faire du même coup sauter l’immeuble !
Un jour, toujours dans ma chambre, bien assis devant la lourde table en chêne venant de mon grand-père et qui me servait de bureau, j’eus une idée assez logique mais totalement déraisonnable.
Après avoir fait un savant mélange de charbon pilé, de soufre et de nitrate d’ammonium (poudre noire) auquel je me manquai pas d’ajouter une juste proportion de poudre d’aluminium (très dangereux !), je me dis qu’il fallait faire un test.
La scène.
Jean-Pierre est assis sur sa chaise, la tête penchée sur la table du grand-père sur laquelle il a posé une plaque d’amiante. Sur la plaque, une infime quantité de son mélange, presque rien, l’équivalent d’un petit pois, et encore. Se peut-il qu’il oublie que, à gauche de la plaque d’amiante également bien posée sur la table, il y a une boîte de cigares métallique carrée et assez profonde ? C’est une boîte venant de son père dans laquelle il garde une quantité non négligeable du dit mélange, un kilo peut-être... Une quantité pouvant sans problème permettre plusieurs tirs de fusées. La boîte est grande ouverte.
L’expérience.
Jean-Pierre approche une allumette du « petit pois »… A partir de là tout va très très vite. Le pois s’illumine comme une étoile en produisant un « pfuit » assez fort. De cette étoile, une scorie rougeoyante s’élève rapidement. L’apprenti-sorcier a un coup au cœur quand il voit que ce minuscule projectile amorce une extraordinaire trajectoire balistique. Quand il devine avec horreur où le minuscule « météore » va atterrir, il a la présence d’esprit de se reculer brutalement de la table. L’impact se produit précisément au milieu du mélange contenu dans la boîte. En une fraction de seconde, celle-ci se transforme en tuyère d’engin spatial à l’envers portée au rouge vif. Une flamme éblouissante monte vers le plafond accompagnée d’un incroyable et brutal rugissement. Un énorme nuage noir plane à un mètre du sol et se répand dans tout l’appartement, pendant qu’une boîte de cigares vide, en fer et rouge comme le foyer d’un forgeron s’enfonce lentement dans le plateau en chêne de la table du grand-père.
Conséquences.
J’ai été condamné par mon père à raboter le plateau en bois de la table pour faire disparaître le cratère - ce qui ne fut pas une mince affaire, c’est le cas de le dire. Le plateau à l’origine devait bien faire en effet six centimètres d’épaisseur et la boîte était descendue d’au moins deux !
Debriefing.
Heureusement que j’avais bien repéré dans les livres comment choisir les proportions des produits du mélange afin qu’il soit « fusant » et non « explosant » !
Heureusement aussi que j’avais eu la présence d’esprit de me reculer juste avant la mise à feu, sinon … je ne serais plus là depuis longtemps et Polynesia n’existerait tout simplement pas.